Débat autour de l’Intelligence Artificielle Un don ou une malédiction ?

 

L’intelligence artificielle a été au cœur d’un débat de haute facture qui a eu lieu jeudi 14 décembre lors d’une conférence tenue devant un parterre d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs. Réunissant le gratin du monde académique et des dirigeants d’entreprises, l’événement, qui s’est tenu sur le thème «Explorer l’avenir: comment l’intelligence artificielle peut améliorer les performances des entreprises», a permis de croiser les regards sur cette thématique d’actualité brûlante mais aussi d’échanger sur les expériences de startup et d’entreprises qui ont réussi à faire de cette technologie disruptive un élément de changement et un levier de leur croissance.  

Organisée par  le Conseil de gouvernance économique belgo-tunisien, en collaboration avec la Cité des sciences à Tunis, l’ambassade de Belgique en Tunisie et la délégation générale Wallonie-Bruxelles en Tunisie, sous le haut patronage du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, la conférence a été le cadre idéal pour réfléchir aux applications concrètes de l’IA  au sein des entreprises. 

Dans son allocution d’ouverture, l’ambassadeur du royaume de  Belgique en Tunisie, SE François Dumont, a affirmé que l’intelligence artificielle constitue une priorité pour son pays. Il a souligné que cette technologie de pointe offre de nouvelles opportunités de croissance économique qui retiennent l’attention de la diplomatie économique de la Belgique. «L’intelligence artificielle sera dans le cadre de notre prochaine présidence du conseil de l’Union européenne, au premier semestre de l’année 2024, bien présente à l’agenda. Notre présidence mettra l’accent sur le renforcement de la compétitivité de nos entreprises. A la lumière des changements géopolitiques mais aussi du développement rapide des nouvelles technologies comme cette IA, l’Union européenne et tous ses États membres et partenaires doivent mettre la priorité sur la compétitivité à long terme mais aussi sur nos politiques industrielles», a-t-il déclaré. Évoquant l’exemple de la startup tunisienne  leader de l’IA InstaDeep, qui a pu bénéficier, à ses débuts, de l’appui financier de la société belge d’investissement pour les pays en développement BIO, l’ambassadeur a affirmé que la Tunisie est aussi à la pointe de ces nouvelles opportunités de croissance.

L’Union européenne anticipe sur les dérapages de l’IA

Mais selon SE Dumont, l’intelligence artificielle comporte aussi des risques sur les plans juridique, éthique et social, étant donné qu’elle peut poser des risques à la démocratie, à l’Etat de droit, aux droits humains ainsi qu’aux  emplois peu qualifiés qui risquent de disparaître. «L’IA façonnée sur la base de données d’entrées dominantes et orientées impacte le résultat et peut aussi donner une image tronquée des valeurs que nous défendons. C’est pourquoi la communauté internationale doit d’urgence mitiger ces risques par une gouvernance agile et robuste. Au niveau multilatéral, la Belgique y est attentive. Elle contribue au processus en cours, notamment au niveau des Nations unies, de l’Ocde, du Conseil de l’Europe, du partenariat global sur l’intelligence artificielle, avec un accent sur le respect des droits humains, une approche humano-centrée», a-t-il précisé. Et de poursuivre: «On parle de machine, il faut remettre l’humain au centre de la transparence des algorithmes ainsi que la réduction de la fracture numérique et l’inclusion numérique, sans oublier le besoin de formation, de recyclage des travailleurs qui seraient directement impactés par l’usage de cette intelligence artificielle». 

Par ailleurs, l’ambassadeur de Belgique a ajouté que son pays soutient la création du conseil consultatif de haut niveau proposé par le secrétaire général des Nations unies ainsi que la mise en place d’un groupe d’experts scientifiques sur l’intelligence artificielle. Il a rappelé que l’UE a aussi, récemment, finalisé un projet de règlements européens sur la limitation de l’intelligence artificielle, et ce faisant, elle devient la première puissance mondiale à vouloir réglementer l’utilisation de l’intelligence artificielle. «En protégeant les droits fondamentaux, l’Union européenne souhaite devenir ainsi un leader mondial en matière d’intelligence artificielle tout en offrant les exceptions nécessaires au développement de cet outil et en fixant les balises pour son usage en toute sécurité», a-t-il asséné. 

La Tunisie peut rejoindre la cour des grands 

Il faut dire que sur le plan académique, la Tunisie dispose de tous les atouts pour rejoindre le club restreint des pays ayant réussi à faire de l’intelligence artificielle un levier de croissance. 

Car au palmarès de l’IA, le pays fait, malgré tout, bonne figure. C’est ce qui ressort, en somme, des divers classements qui ont été mis en avant par Mahmoud Zouaoui, chef de cabinet du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, lors de son intervention. Si la Tunisie occupe, selon l’indice de préparation du gouvernement à l’IA, la cinquième place  à l’échelle africaine, et la  première place en Afrique du Nord, elle se situe, désormais, au-dessus de la moyenne mondiale dans les divers  classements internationaux relatifs à l’intelligence artificielle. Et en termes de publications scientifiques, le pays occupe le podium africain et se targue d’un bon classement mondial. «Ces résultats ont encouragé le conseil des universités à donner son accord, le 5 juin 2023, pour la création d’une école dédiée totalement aux métiers de l’IA qui sera sous la tutelle de  l’Université de Tunis», a déclaré le responsable. 

Un autre atout de taille: le pays dispose d’un vivier de talents et de compétences dans le domaine de l’intelligence artificielle. Selon les données du ministère, 15% des étudiants de l’enseignement supérieur suivent des filières informatiques. 20 parcours académiques dans la spécialité intelligence artificielle sont établis par des établissements publics et privés. Plus de 90 facultés enseignent l’informatique et intègrent des cours d’intelligence artificielle.

Au total, la Tunisie compte plus de 10 laboratoires de recherche en intelligence artificielle en plus des deux centres de recherche qui  travaillent en permanence sur le sujet. «Cependant, malgré ces réalisations importantes, l’impact économique et social de la recherche scientifique dans notre pays demeure en deçà du niveau espéré. C’est pour cette raison que nous avons axé notre vision, qui consiste en un système de recherche scientifique orienté vers l’économie et la société du futur, sur les priorités suivantes: la transformation digitale, dont fait partie l’IA; la sécurité hydrique, énergétique et alimentaire;  l’économie circulaire et le développement durable; la santé du citoyen; la gouvernance et la décentralisation; la culture et la jeunesse. Nous œuvrons à soutenir les projets qui correspondent aux besoins nationaux actuels et futurs», a précisé Zouaoui. Cependant, la question de l’éthique dans le domaine de l’IA demeure une problématique préoccupante. C’est pourquoi une stratégie sur l’intelligence artificielle qui soit centrée sur l’humain et qui serve l’intérêt supérieur des citoyens est, selon ses dires, d’une nécessité avérée. 

Énergies renouvelables, santé … La potion magique de l’IA

Livrant son témoignage, Bart Focquart, directeur des ventes à Haulogy, un éditeur de logiciels, a expliqué que l’intelligence artificielle peut aider les entreprises à gérer leur consommation en énergies renouvelables puisque la production de ces dernières dépend fortement de la durée de l’ensoleillement et elle est donc, de ce fait, intermittente. «Pour gérer cette variabilité, il faut mettre en place des solutions informatiques. Nous résolvons cela avec de l’intelligence artificielle parce qu’il faut pouvoir prédire le futur pour prendre les décisions en conséquence», a-t-il affirmé dans une déclaration à La Presse. Il a ajouté que pour les entreprises tunisiennes, notamment celles qui consomment beaucoup d’électricité, ce système de gestion d’énergies renouvelables est indispensable. Car la consommation d’énergie au cours des journées peu ensoleillées coûte cher et donc influe sur le coût de production et par conséquent sur leur compétitivité.

La santé figure également parmi les secteurs où l’IA peut faire des miracles. Le témoignage d’Alfred Attipoe CEO de la startup Communicare  en est la parfaite illustration.

Cette  entreprise  qui propose des outils d’accompagnement des patients souffrant  de maladies chroniques ou qui suivent un traitement nécessitant des suivis rapprochés, a pu démontrer que l’adoption de ces solutions, dans le cas du diabète, réduit  le risque cardiovasculaire. «Nous avons mis en place des solutions pour les patients en utilisant d’abord les technologies innovantes de communication basées principalement sur le smartphone et puis derrière on a développé des outils IA qui permettent de traiter les données des patients pour pouvoir anticiper les situations à risque qui peuvent survenir […] On a développé la solution en oncologie en Belgique et puis on l’a utilisée dans différents contextes de suivi du cancer.

Elle a été appliquée dans les cliniques de l’insuffisance cardiaque en cardiologie, et puis dans tout ce qui est diabète», a-t-il affirmé dans une déclaration à La Presse. En bronchopneumonie, le recours à l’application va permettre de réduire la durée d’hospitalisation des patients puisqu’elle va assurer leur suivi anticipé.

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